• Jérôme GLAENTZLIN a publié Hegel, « esthétique » « c’est un vieux précepte que

    HEGEL, « Esthétique »
    « C’est un vieux précepte que l’art doit imiter la nature ; on le trouve déjà chez Aristote (…).
    D’après cette conception, le but essentiel de l’art consisterait dans l’imitation, autrement dit dans la reproduction habile d’objets tels qu’ils existent dans la nature, et la nécessité d’une pareille reproduction faite en conformité avec la nature serait une source de plaisirs. Cette définition assigne à l’art un but purement formel, celui de refaire une seconde fois, avec les moyens dont l’homme dispose, ce qui existe dans le monde extérieur, et tel qu’il y existe. Mais cette répétition peut apparaître comme une occupation oiseuse et superflue, car quel besoin avons-nous de revoir dans des tableaux ou sur la scène des animaux, des paysages ou des évènements humains que nous connaissons déjà pour les avoir vus ou pour les voir dans nos jardins, dans nos intérieurs ou, dans certains cas, pour en avoir entendu parler par des personnes de nos connaissances ? On peut même dire que ces efforts inutiles se réduisent à un jeu présomptueux dont les résultats restent toujours inférieurs à ce que nous offre la nature. C’est que l’art, limité dans ses moyens d’expression, ne peut produire que des illusions unilatérales, offrir l’apparence de la réalité à un seul de nos sens ; et, en fait, lorsqu’il ne va pas au-delà de la simple imitation, il est incapable de nous donner l’impression d’une réalité vivante ou d’une vie réelle : tout ce qu’il peut nous offrir, c’est une caricature de la vie.
    Quel but poursuit-il en imitant la nature ? Celui de s’éprouver lui-même, de montrer son habileté et de se réjouir d’avoir fabriqué quelque chose ayant une apparence naturelle. La question de savoir si et comment son produit pourra être conservé et transmis à des époques à venir ou être porté à la connaissance d’autres peuples et d’autres pays ne l’intéresse pas. Il se réjouit avant tout d’avoir créé un artifice, d’avoir démontré son habileté et de s’être rendu compte de ce dont il était capable (…) ; mais cette joie et cette admiration de soi-même ne tardent pas à tourner en ennui et mécontentement, et cela d’autant plus vite et facilement que l’imitation reproduit plus facilement le modèle naturel. Il y a des portraits dont on a dit assez spirituellement qu’ils sont ressemblants jusqu’à la nausée (…). L’homme devrait éprouver une joie plus grande en produisant quelque chose qui soit bien de lui, quelque chose qui lui soit particulier, et dont il puisse dire qu’il est sien. Tout outil technique, un navire par exemple ou, plus particulièrement, un instrument scientifique, doit lui procurer plus de joie, parce que c’est sa propre œuvre, et non une imitation. Le plus mauvais outil technique a plus de valeur à ses yeux ; il peut être fier d’avoir inventé le marteau, le clou, parce que ce sont des inventions originales, et non imitées (…). En entrant en rivalité avec la Nature, on se livre à un artifice sans valeur.
    on peut dire d’une façon générale qu’en voulant rivaiser avec la nature par l’imitation l’art restera toujours au-dessous de la nature et pourra être comparé à un ver faisant des efforts pour égaler un éléphant. Il y a des hommes qui savent imiter les trilles du rossignol, et Kant a dit à ce propos que, dès que nous nous apercevons que c’est un homme qui chante ainsi, et non un rossignol, nous trouvons ce chant insipide. Nous y voyons un simple artifice, non une libre production de la nature ou une œuvre d’art. Le chant du rossignol nous réjouit naturellement, parce que nous entendons un animal, dans son inconscience naturelle, émettre des sons qui ressemblent à l’expression de sentiments humains. Ce qui nous réjouit donc ici, c’est l’imitation de l’humain par la nature (…)
    L’art doit donc avoir un autre but que celui de l’imitation purement formelle de ce qui existe, imitation qui ne peut donner naissance qu’à des artifices techniques, n’ayant rien de commun avec une œuvre d’art ».
    A. Mendiri